l’île des perdus – entretien

 
Quel a été le point de départ de L’Île des perdus ?

Il y a quelques étés j’ai commencé à perdre mes objets. Je perdais tout : les clés, les livres, les papiers. Mes journées étaient parsemées de petits deuils. Et puis, l’accident le plus grave est survenu, j’ai perdu mon ordinateur portable à l’aéroport d’Orly. Je l’ai retrouvé, quelques semaines plus tard, au Service des Objets Trouvés. J’étais émerveillée : des inconnus qui ne me devaient rien s’étaient occupés de moi. C’est comme ça que j’ai découvert rue des Morillons cet espace dédié à la perte. J’ai été immédiatement frappée par ce lieu, j’ai tout de suite voulu le filmer.

Comment avez-vous « sélectionné »/choisi les personnes très différentes que l’on voit dans votre film ?
Au service des Objets Trouvés, la mixité sociale des usagers est flagrante. La perte concerne tout le monde, elle ne discrimine pas. Aux guichets du service, les usagers se succèdent à un rythme soutenu et certains d’entre eux n’y restent que quelques minutes avant de disparaître. Cette contrainte m’a obligée à être rapide, à faire des choix très vite. J’approchais les usagers quand je lisais sur leurs visages une forte émotion, quand j’avais la sensation qu’il se jouait pour eux quelque chose de crucial. Mon regard était attiré par une concentration quasi-solennelle au moment de remplir la déclaration de perte, des mouvements agités, ou une forte appréhension pendant les échanges avec les agents.

Pouvez-vous nous dire quelques mots concernant le travail sur le son dans L’Île des perdus ?
Comme les Objets Trouvés sont un lieu très bruyant, nous avons dû créer un dispositif approprié. Je désirais des voix proches et intimes, je voulais isoler les bruits des objets manipulés par les agents du service ou par leurs propriétaires. Avec Amaury Arboun, l’ingénieur du son, nous avons fait des repérages et des tests son très précis. En plus de la perche nous avons disposé plusieurs micros dans le service aux endroits où je savais que nous allions filmer. Quand cela a été possible, nous avons enregistré les voix off dans une petite salle inoccupée du service. J’ai essayé de créer un environnement calme et protégé, un cocon dans lequel les personnes filmées puissent nous confier leur parole et leur vulnérabilité en sécurité. Avec Marta Billingsley, la monteuse son, nous avons beaucoup travaillé au rythme sonore du film. Les ambiances sonores réalistes s’alternent avec d’autres plus ouatées et raréfiées, comme lors des voix off où pendant certains moments de fluctuation.

Quel.e.s sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
À seize ans, j’ai vu avec mes camarades de lycée Le Rayon vert de Rohmer, à l’affiche dans la plus belle salle de cinéma de Milan. Cet après-midi-là, j’ai compris la capacité du cinéma à saisir ce qui est très impalpable, ce que les mots auraient du mal à cerner. Ma cinéphilie est née ainsi. J’ai commencé à suivre les sorties françaises. Dans une salle d’art et essai qui n’existe plus, le De Amicis, j’ai découvert Truffaut. J’ai aussi vu beaucoup de cinéma muet à la Cinémathèque, j’étais intriguée par l’expressivité des visages des comédiens.
Quand j’ai déménagé à Paris, j’ai pu découvrir le cinéma documentaire d’auteur, que je connaissais très peu. En regardant des films tels que Ni tsutsumarete de Naomi Kawase et Rome désolée ou Bologna Centrale de Vincent Dieutre, j’ai découvert une façon intime et déchirante de faire du documentaire. Les premiers films de Frederick Wiseman, surtout Hospital et Law and Order, avec leur urgence et leur émotivité à fleur de peau, m’ont sûrement marquée.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Il me serait difficile de nommer quelqu’un en particulier. Ça m’arrive très souvent de revoir un film que je connais déjà, que j’aime, et de découvrir que je l’aime encore plus. À chaque fois je découvre de nouveaux détails dans la réalisation, dans la photographie ou dans le scénario, et l’émerveillement se renouvelle.

 
http://www.lepolyester.com/entretien-avec-laura-lamanda/

 

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